31/08/2009

Petite métaphysique du poker de tournoi

Lorsque j´ai commencé à m´intéresser sérieusement au poker, il y a environ 4 ans, il y a un aspect du jeu qui m´a légèrement rebuté: la place faite au hasard. Plus concrètement, le fait que le hasard puisse compenser le manque d´aptitude d´un joueur sur une main. Le fait que l´on puisse remporter un tournoi presque sans savoir jouer. Ou encore qu´il semble acquis que le vainqueur des championnats du monde soit tous les ans un joueur amateur ou un professionnel anonyme. Imagine-t-on un amateur vainqueur à Roland-Garros ? Une équipe de quartier remporter le Superbowl ? Dans les deux cas ils n´auraient bien entendu même pas l´opportunité de concourir. Encore plus concrètement, ayant une expérience préalable des jeux et des sports où la place faite au hasard est très faible (échecs, bridge; tennis, tennis de table), j´ai d´abord assez mal accepté le fait que je puisse me retrouver out d´un tournoi de poker en perdant un 80/20 (JJ vs 66 preflop) voire un 70/30 (QQ va A7 preflop).

Les jeux et sports sus-cités sont dits "à information complète". Dans ces disciplines, il existe le concept de "meilleur coup", et celui-ci est toujours le plus profitable quand au poker ce qui semble être "le meilleur coup" peut vous faire sortir du tournoi. J´imaginais alors un nouveau poker dans lequel le coup s´arrête lorsque les joueurs sont à tapis et où le joueur qui a les meilleures probabilités de remporter le pot s´en empare immédiatement, sans laisser de place au tirage des cartes... Et puis je me suis rendu compte de trois choses fondamentales, que je vous présente par ordre croissant d´importance:

1) En réalité, au poker aussi la meilleure décision est aussi la plus profitable... du moins - en fait uniquement avec certitude - sur le long terme. Un coup joué à 70/30 sera globalement profitable sur le long terme, il faut simplement accepter de le perdre dans 30% des cas. La notion de long terme une fois assimilée - c´est-à-dire essentiellemt une fois qu´on en a tiré toutes les conséquence au niveau de sa gestion de bankroll - fait baisser l´importance du hasard à un niveau à peu près acceptable.

2) Sur le court terme le fait de pouvoir perdre (ou gagner) des coups alors que l´on est grand favori ou outsider provoque des sentiments (joie, frustration, injustice) qui constituent l´une des richesses fondamentales du jeu dans la mesure où elles ne se retrouvent avec ce niveau d´intensité que dans peu de discplines sportives ou ludiques.

3) Le succès invraisemblable que rencontre le poker de tournoi s´explique par un fait peu commenté à mon goût mais que je pense fondamental qui est que ce jeu est celui qui se rapproche le plus de ce que l´on pourrait appeller "le jeu de la vie". Dans ce dernier, on naît avec un certain capital qu´il va falloir utiliser au mieux dans chaque situation. Chaque instant de la vie est le théâtre d´une prise de décision qui s´effectuera fatalement à partir d´une somme incomplète d´information. Où les meilleures décisions dans une situation donnée ne garantiront presque jamais le succès immédiat. Où la survie est à la fois la condition et l´objectif. Où, pour espérer un fort rendement ou un fort résultat, on doit bien souvent prendre des risques, mais en ayant préalablement identifié le meilleur moment et le meilleur endroit pour le faire. Où l´on ne devrait jamais s´engager sur un chemin incertain sans avoir pensé à des solutions alternatives. Où l´on ne devrait jouer son va-tout que lorsque l´on a presque plus rien à perdre.

Chaque individu a sa propre philosophie de vie et le poker de tournoi est me semble-t-il le jeu qui permet le mieux de se mettre en jeu soi-même, de par l´incertitude fondamentale induite par le hasard i.e les événements incontrôlables.

J´ajoute une chose: d´un point de vue personnel, j´ai noté que depuis que je jouais au poker, j´avais gagné en efficacité dans le cadre de négociations commerciales ou de cas spécifiques de management. Je serais très intéressé que vous vous exprimiez sur cet article et en particulier sur la modeste théorie selon laquelle si le poker se nourrit sans nul doute des expériences de vie, la vie peut également apprendre du poker et que le poker de tournoi constitue un reflet très fidèle des mécanismes de décision individuels vitaux.

1 commentaire:

  1. Je pense aussi que le poker peut aider dans la vie courante. Exemple bête, essayer de parler en dernier dans une réunion. On évite ainsi pas mal de propos "idiots" prononcés par d'autres (alors qu'on aurait pu les dire soi-même si on avait parlé en premier), on peut argumenter sur des propos déjà tenus, et aussi et c'est important parfois, le dernier à parler est celui qu'on retient le plus (en entretient d'embauche collectif ça peut avoir son importance d'être celui qui a laissé la dernière image dans la tête du recruteur).

    Ça peut aider à accepter la part de hasard qui existe dans la vie : celui qui le mérite le plus ne gagne pas tout le temps, et c'est partout pareil. On relativise, on peut se dire qu'on vient de prendre un "bad beat de la vie" ^^. Personne ne meurt à cause d'un bad beat, au pire on sort d'un tournoi mais on peut en commencer un autre plus tard.

    Et enfin pour revenir au poker, ne pas oublier que si les mauvais joueurs ne pouvaient pas gagner gros parfois, ils arrêteraient vite ce jeu dans lequel ils perdraient rapidement des sommes énormes.
    Et s'il devenait impossible d'imaginer de pouvoir gagner un heads up dans un tournoi contre un joueur meilleur que nous ça ne serait vraiment pas marrant ;-)

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